Qu'est-ce qu'un bon débat ?
Le 24 septembre 2018, Lê Nguyên Hoang, alias Science4All sur YouTube, tweetait : « L’humanité aura sans doute d’énormes défis à relever au 21ème siècle. Si elle continue à débattre aussi mal qu’elle le fait, j’ai bien peur que ces défis soient impossibles à surmonter. ». Cette considération, qui est aussi l’acte de naissance du hashtag francophone #DébattonsMieux, suscite en moi une adhésion intellectuelle forte. Je suis intimement persuadé que la qualité des débats à propos des grandes questions de notre siècle jouera un rôle crucial dans la qualité de la réponse que l’humanité apportera à ces questions. Mais avant de parler des techniques de #DébattonsMieux (il en sera question dans les prochains articles de cette rubrique), il me semble important de faire la lumière sur la notion même du bon débat.
Tout d’abord, qu’est-ce qu’un débat? Apporter à cette question une réponse œcuménique semble une gageure, dans la mesure où le débat parait reconnaitre à chacun son droit au désaccord. La définition du débat appelle le débat, et nous semblons tourner en rond. C’est pourquoi, même avec les meilleures intentions de bienveillance et d’ouverture d’esprit, il faut bien prendre position à un moment. Un débat selon moi, c’est une discussion où sont échangées des idées dans le but de résoudre un problème de la meilleure façon possible ; d’enrichir intellectuellement tous les participants ; ou bien simplement de passer un bon moment entre amis. Les formes communes de pugilat qui portent le nom de débats télévisés, de clash, de polémiques, etc., ne sont pas des débats à mes yeux ; ou alors, pas des débats réussis.
Cela nous conduit inévitablement à cette seconde question : à quoi reconnait-on un débat réussi ? Là encore, on pourrait se dire que poser une telle question dans un article de philo équivaut pratiquement à demander aux Inconnus déguisés en chasseurs quelle est la différence entre le bon et le mauvais débat. Ne pas prendre position ne nous mène nulle part. Je dirai donc qu’un bon débat est un jeu à somme non nulle, tandis qu’un mauvais débat est un jeu à somme nulle. Mais qu’est-ce encore que ce jargon fumeux ? Les jeux à somme nulle et à somme non nulle sont les outils conceptuels de la théorie de jeux. Cette dernière affirme, en gros, qu’on peut voir tous les phénomènes qui ont lieu dans le monde comme des jeux concurrentiels où il y a des choses à gagner et des choses à perdre. On appelle jeux à somme nulle ceux où il y a autant à gagner qu’à perdre, et où tout gain d’un joueur se fait nécessairement au détriment d’un ou plusieurs autres joueurs. Un super exemple de jeu à somme nulle, c’est le capitalisme. Les jeux à somme non nulle, en revanche, sont ceux où la quantité de choses à gagner dépasse la quantité de choses à perdre. Quelque chose dans ces jeux-là crée de la valeur ajoutée, comme si le simple fait de jouer au jeu nous assurait des gains. C’est ainsi que je conçois les bons débats. Y prendre part nous assure des bénéfices, au-delà des possibles pertes internes au jeu.
Pour exprimer les choses différemment encore, on peut utiliser les termes grecs anciens « polémos » (la guerre) et « agôn » (la lutte). A la guerre, on ne peut que vaincre ou être vaincu.