Le sens de la vie

(expliqué scientifiquement)


Le sens de la vie ! Objet de bien des questions et de bien des fantasmes, nul ne peut prétendre être insensible au trouble métaphysique que la réflexion à son sujet procure. Les façons d’y réfléchir sont aussi nombreuses que les penseurs, et aucune n’a encore seulement approché un incipit de consensus. Faut-il plutôt sentir le sens de la vie au fond de soi, le déduire du monde extérieur, le créer de toutes pièces, le mépriser pour n’en vivre que mieux, ou encore éviter de se poser la question ? Dois-je éviter de me poser la question du sens de la vie ? On part vite assez loin, et c’est pour ça que j’aime la philo, vindiou ! Mais comme de toute évidence je suis bien trop peu de choses à moi tout seul pour ne serait-ce que me poser toutes les questions qu’on peut se poser sur les koalas, comment puis-je espérer trouver une seule réponse complète ? Eh bien je ne l’espère pas vraiment. Je m’autorise à passer le restant de mes jours à m’interroger sur quelques machins seulement, et ne trouver à la rigueur que des ptits bouts de trucs. Fort de ce constat, je m’autorise aussi à me poser les questions qui me plaisent le plus, et à y répondre aussi de la manière qui me plait le plus. Aussi, voilà une tentative de réponse à la question du sens de la vie d’un point de vue aussi scientifique que possible. Voilà, j’ai décidé.

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Au deuxième chapitre de son livre Le Gène égoïste, Richard Dawkins entreprend de retracer pour ses lecteurs les origines de la vie dans un monde peu favorable a son émergence. « Au commencement était la simplicité. », écrit-il en préambule, non sans paraphraser le prologue de l’évangile de Jean. Pourtant, rien ne semble particulièrement divin dans l’apparition de la vie selon Dawkins. Dans la jeunesse de la Terre, les scientifiques spéculent qu’il y avait à sa surface de l’eau, du dioxyde carbone, du méthane et de l’ammoniac. Ces éléments composites simples étaient alimentés en énergie par des ultraviolets venant du Soleil, et la foudre des orages terrestres. L’événement important qui a suivi n’avait que très peu de chances de se produire, mais les échelles de temps (quelques milliards d’années) et d’espace (une planète entière pour une réaction chimique à l’échelle moléculaire) ont fourni une belle quantité d’occasions à notre événement de se produire. Il lui a suffi en outre de ne se produire qu’une seule fois. Car ce qui est arrivé, c’est un Replicator (j’adore la façon dont Dawkins a le sens du drama dans son bouquin !).

Richard Dawkins précise dans ce chapitre que l’adage bien connu de Darwin « le plus adapté survit » est un cas particulier de cet adage valable plus universellement : « le plus stable survit ». Bien sûr, le mot survie signifie ici existence. Dans l’univers, une chose existe en tant que telle tant qu’elle est stable. Cela tombe sous le sens, vous m’direz. Mais on en déduit quelque chose d’intéressant : toute chose existante tend à la stabilité. Si une chose, mettons un atome d’hydrogène, est instable, elle va disparaitre. Mais l’atome d’hydrogène ne disparait alors qu’en tant qu’atome d’hydrogène. Sa matière, elle, demeure, mais change de fonctions, de propriétés, d’état... pour quelque chose de plus stable. C’est ce qui arrive aux atomes d’hydrogène dans notre soleil. Les conditions à l’intérieur de l’étoile sont telles que l’hydrogène y est instable, de sorte que les atomes fusionnent entre eux pour créer de l’hélium, plus stable. La « soupe primitive » qu’étaient les océans terrestres, avait quant à elle ses propres conditions physico- chimiques (décrites ci-dessus), de sorte que certaines configurations chimiques étaient elles aussi plus ou moins stables.

A l’émergence du premier Replicator, la notion même de stabilité a semblé se soumettre à cette entité gargantuesque, dont la principale caractéristique était la capacité d’user de son environnement pour créer des copies d’elle-même ; copies qui pouvaient elles aussi se répliquer. On peut discuter du fait que la naissance du premier Replicator est en elle-même la naissance de la vie, et que le Replicator est l’ancêtre commun de toute chose vivante sur Terre. Car d’une part, c’est bien de là que tout part et s’enchaine ; mais d’autre part, nous n’en sommes pas encore à des cellules organiques, dont il est communément admis aujourd’hui qu’elles sont les éléments irréductibles de la vie. Quoiqu’il en soit, le Replicator s’était garanti à lui-même une très grande stabilité, par sa capacité à se reproduire, et donc à perdurer (sinon à survivre au sens littéral) dans le temps et dans l’espace.

C’est alors qu’un deuxième événement improbable, mais encore nourri de très nombreuses tentatives, est survenu : le Replicator a fait une fuate de frappe. La copie n’était pas parfaite. C’était la naissance de la diversité. On aurait pu imaginer une configuration où la copie échouée n’héritait pas de la faculté de réplication de son original, et finissait simplement par disparaitre sans descendance. En fait, c’est très certainement arrivé, et de nombreuses fois. Mais là encore, il suffit d’une seule copie ratée et cependant capable de se reproduire pour qu’apparaisse un nouveau Replicator, et que les choses s’emballent à nouveau. Les différents Replicators se sont retrouvés en concurrence pour se reproduire à l’aide des ressources dans leur environnement, et les notions de longévité, de fertilité et de fidélité de réplication sont devenues les tendances principales.

Mon temps de parole s’épuise et il me faut conclure. Nous voici suffisamment proches des préoccupations des nous autres être humains pour que nul n’échoue à reconnaitre les mécanismes de la vie dans ces Replicators. Le Gêne égoïste est un bouquin passionnant et merveilleusement écrit pour tous publics ; aussi je le recommande vivement. Mais son auteur s’abstient catégoriquement d’émettre des jugements métaphysiques ou moraux sur la vie et son sens. Il s’en tient à la science, et c’est très bien comme ça. Cependant, si Richard Dawkins est un scientifique pur jus, moi je suis un philosophe, et je crois que c’est mon rôle de tenter de tirer des jugements métaphysiques et moraux des observations scientifiques. En l’occurrence, il me semble que la vie est une façon qu’a l’univers de viser la stabilité. Les choses vivantes sont le résultat d’une tendance à la préservation et à la réplication de la part de paquets d’atomes qui sont mieux ensemble que séparés. Dans ces circonstances, peut-être qu’une philosophie ou bien une moralité, ou encore une esthétique de la stabilité méritent qu’on s’y intéresse. Qu’est-ce qu’être stable pour un vivant ? Et pour un humain ? Depuis ma lecture de Dawkins, je ne peux plus ignorer la notion de stabilité dans ma vie de philosophe stoïcien qui cherche à vivre conformément à la nature. Et par Toutatis, c’est très bien comme ça ! La stabilité soit sur vous.

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