Le paradigme selon Kuhn

Une étude des structures des théories scientifiques


Dans ce premier article centré sur l’épistémologie, nous allons découvrir un morceau de la philosophie de Kuhn : le paradigme. Ce concept est central dans son livre « La structure des révolutions scientifiques » (éd. Flammarion, 2018), sur lequel je me suis penché pour écrire ce texte. Déjà, petit point sur ce qu’est l’épistémologie. Selon le Petit Robert l’épistémologie conjugue l’étude critique des sciences et la théorie de la connaissance. On peut ajouter que la tradition épistémologique française accorde une place importante à l’étude de l’histoire des sciences, contrairement aux Anglo-Saxons qui l’englobent comme théorie de la connaissance.

Dessin de Thomas Kuhn par David Trip
Dessin de Thomas Kuhn par David Trip

Qu’est-ce qu’un paradigme ?

Il convient maintenant de préciser ce qu’est un paradigme de manière générale. Le dico nous dit qu’un paradigme est un « modèle de pensée », tout simplement. Pour reformuler : je dirais qu’un paradigme nous aide à penser de telle manière dans tel domaine, les différences de paradigmes politiques sont des bons exemples: le MODEM ne pense pas de la même manière que LREM (différents points centraux, préoccupations, etc...). Maintenant qu’on est armé, on peut se lancer dans l’exploration conceptuelle. Kuhn parle de paradigme en inscrivant sa réflexion dans l’étude historique des sciences ; on peut conjecturer qu’un paradigme correspond à un courant scientifique. Plus précisément, un paradigme est une théorie scientifique qui s’est fait valider par la communauté scientifique de l’époque dans son ensemble, c’est-à-dire une théorie qui unifie tous les chercheurs d’un domaine particulier. Quand la science n’a pas de paradigme établi, on pourrait dire qu’elle est dans un stade « primitif » où il existe un conflit permanant entre des théories spéculatives d’écoles différentes. Kuhn dit que le premier paradigme apparait avec Newton, mettant fin à ce conflit d’écoles, comme entre celles d’Aristote et de Ptolémée par exemple. Sans paradigme pour guider l’évolution d’une science, toute théorie se tire d’expériences simples, accidentelles parfois, ce qui peut aboutir à un fatras de faits plus ou moins féconds. Qu’est ce qui fait que parmi toutes ces théories spéculatives, un paradigme apparaisse et guide la recherche ? Le fait qu’une théorie devienne paradigmatique vient en grande partie de sa capacité d’auto critique et également d’une méthodologie de recherche évoluée. Kuhn nous informe également qu’une des caractéristiques de la science, est qu’à un moment, le chaos théorique disparait pour laisser place à un paradigme, sans trop de raisons logiques ; cette évolution serait plus due à des contingences historiques. Je cite « Pour être acceptée comme paradigme, une théorie doit sembler meilleure que ses concurrentes, mais il n’est pas nécessaire qu’elle explique (en fait elle n’explique jamais) tous les faits auxquels elle peut se trouver confrontée. »

La triforce : paradigme, science normale, énigme

Un des moteurs de la recherche scientifique, c’est l’existence de problèmes et d’énigmes dans le paradigme. Ces éléments motivent les scientifiques à explorer ce dernier et de surcroit à conforter le paradigme si les résultats sont probants. Dit simplement, le fait que des énigmes soient contenues dans le paradigme incite les scientifiques à faire de la recherche. Kuhn décrit ce phénomène de recherche continuelle qui s’établit dans et à partir des paradigmes comme la « science normale ». Je vais essayer d’illustrer ma vision de la science normale. Imaginez-vous une voiture. Le modèle représente le paradigme scientifique établi à l’instant t, et, comme toute voiture, elle a un moteur. Ce moteur agit comme ce que fait la science normale dans un paradigme, c’est-à-dire qu’il le fait avancer grâce à la recherche. A l’instar de la structure décrite par Kuhn, la science normale est un élément qui fait partit du paradigme en tant que concept, mais pas d’un en particulier. Il n’existe pas une science normale pour chaque paradigme. Donc le moteur des diverses voitures reste toujours le même, sa structure reste inchangée. Le dernier élément de ce petit schéma, c’est le carburant versé dans le moteur, qui correspond aux énigmes. Les énigmes permettent à la science normale d’engendrer des recherches selon la théorie en vigueur. Cette métaphore a pour vertu d’éclairer l’enchevêtrement de concepts qui circulent autour du paradigme. Kuhn dit dans son livre qu’un paradigme est une promesse de succès, et que « la science normale consiste à réaliser cette promesse ».

Réflexions à partir des paradigmes

Maintenant que la notion de paradigme est un peu plus claire et distincte, il est temps de réfléchir à partir d’elle ! Bien sûr, il reste énormément de choses à explorer et à discuter dans « La structure des révolutions scientifiques » de Kuhn ; mais le format, mes compétences, et le temps m’empêchent d’en parler davantage. A partir de maintenant mon discours sera d’autant plus en proie à mes interprétations de lecture, et il peut ainsi prendre quelques libertés qui sont susceptibles de s’écarter des dires de Kuhn. Si on essaie d’élargir le concept de paradigme au-delà de la science, on s’aperçoit que cette notion s’applique plutôt bien dans d’autres domaines, comme la religion, où la littérature. Je m’explique : en littérature par exemple, il existe divers courants littéraires qui correspondent à plusieurs manières d’atteindre différents buts : esthétisme, vérité ... On pourrait dire que ces méthodologies dominantes à certaines époques sont l’image de ce qu’est un paradigme en sciences. Après tout, un courant littéraire exacerbe une pratique orchestrée (telle la méthodologie contenue dans une théorie paradigmatique) qui découle sur une recherche de la beauté par exemple, et ce, à l’intérieur de l’ensemble de règles de cette pratique. Pour dire un mot sur la religion, la recherche inhérente à telle ou telle croyance a des objectifs différents, comme la morale, des notions métaphysiques, etc. Bien sûr, j’applique des notions d’un domaine précis à d’autres qui ne sont pas le matériel de réflexion de Kuhn. Il existe donc beaucoup de points de divergence. Ce qui est intéressant ici, c’est l’élan de recherche des structures qui façonnent notre monde. Un peu à la manière de Nietzsche et des philosophes du soupçon, considérer le fait qu’il existe des structures antérieures nous permet de les étudier et de mieux comprendre la façon dont notre monde fonctionne. L’histoire nous permet de mieux comprendre notre passé, pour se préparer à notre futur.

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