Sur le besoin de rêver…
…Ou de l'importance de garder ses rêves les plus grands
On associe trop souvent l'âge adulte à celui de la raison, soit un âge opposé à l'enfance, période au contraire passée dans les rêves et la certitude de leur réalisation. Consciemment, de jour comme de nuit, un enfant croit en ses rêves, en ses espérances prochaines. Nul ne sera étonné d'entendre l'un d'eux clamer que plus tard il ira dans la Lune ou sauvera de l'extinction une espèce menacée. Plus que nous, adultes, les enfants créent, se projettent, vivent à la fois au jour le jour et dans un futur qu'ils voient beau. Si la numérisation précoce a certes un impact manifeste sur la capacité d'invention de l'enfant qui y est trop tôt exposé, il croit en ses objectifs indépendamment de toutes les raisons qui pourraient s'opposer à leur réalisation, aussi nombreuses soient-elles. Devenu adulte, il a oublié ses rêves, et s'il en avait d'autres datant de l'adolescence, ils se retrouvent trop souvent avalés par le complexe d'un âge pré-adulte où il devient raisonnable, trop raisonnable pour rêver.
Antoine de Saint-Exupéry
Dessin de Saint-Exupéry représentant le Petit Prince sur l'astéroïde B-612.
Les effets de la pandémie sur nos rêves
La période en temps de pandémie COVID-19, dont nous savons qu'elle a psychologiquement impacté un grand nombre d'entre nous, tous âges compris, nous a violemment ramenés à une réalité de terrain, réduisant à néant toutes nos perspectives d'évasion. Du jour au lendemain, alors que nous nous étions accommodés à la sensation d'être intouchables – avouez qu'y compris en étant raisonnable notre tendance à croire que le malheur nous épargne est souvent plus forte que la possibilité qu'il puisse nous impacter – nous nous retrouvions confrontés à notre impuissance face à un virus et à un nombre de décès chaque jour augmentant. Nous avons été confrontés, sans jamais y avoir été préparés, à des évènements qui deviendront une part de l'Histoire, tel que le furent la peste ou la grippe espagnole, toutes proportions gardées. Quels que soient nos âges nous nous découvrions de nouvelles responsabilités, lourdes de conséquences psychiques, avec l'obligation de couvrir en permanence notre visage, la méfiance nouvelle vis-à-vis de l'autre, la peur de transmettre, le contexte des confinements successifs, l'alternance de l'espoir et du désespoir, comme dans les longues maladies. Cette situation sanitaire a surtout été la cause, chez les jeunes populations en particulier, de dépressions, d'hypocondrie, d'angoisses en tout genre, d'isolement et de désemparement face aux fermetures successives des frontières, à nos résultats en baisse, à l'impossibilité de sortir ou de voyager. Alors que nos rêves d'avenir se trouvaient déjà fragilisés par les crises économiques, politiques et/ou environnementales, on nous annonçait le report de nos séjours à l'étranger, et dans les cas les plus critiques l'effondrement à long terme de nos projets. En plus de cela, le deuil, le chômage, le manque, l'exclusion.
Surtout en temps de crise, il faut retrouver ses rêves, ou réapprendre à rêver
Si cette pandémie n'est en rien comparable à la peste noire, et qu'il est tout à fait rationnel de nous rappeler que notre sort est de bien loin préférable à celui de nos aïeux envoyés sur le front ou à celui que subissent à l'heure actuelle les Afghanes et les Afghans, nul n'est pour dire que les conséquences sur le moral des populations est à minimiser. A vrai dire, le véritable drame psychologique a été l'abandon successif de nos rêves d'avenir, temporairement dévorés par les préoccupations liées à notre présent.
Ainsi, je crois que la principale leçon à tirer de cette expérience est de ne pas minimiser le besoin de rêver. Par rêver, j'entends s'évader du réel vers l'avenir, et construire de nouveaux projets, même s'ils paraissent fous en temps de pandémie. Trop souvent on entend dire à un rêveur qu'il n'est pas raisonnable, qu'il voit trop loin, qu'il devrait vivre au jour le jour une vie qui ne se déroule jamais comme prévu, puisqu'il est clair « qu'on ne prévoit rien ». Cependant, ne rien prévoir est aussi une manière de se cantonner à une existence qui se contente de nous convenir, alors que l'on pourrait faire d'elle une aventure, riche de hauts et de bas. Les évènements resteront les mêmes, les imprévus se produiront sans dispense, toutefois les rêveurs les aborderont comme des défis, et non comme des fatalités. Il ne s'agit pas d'être candide, ou de croire que la vie est un monde onirique, mais rêver son avenir comme s'il allait être beau est un signe d'optimisme et de détermination à construire un monde meilleur où, dans la mesure du possible, nous serons à notre place, et quoiqu'il en soit ce sera beau. Revenir à ses rêves et à ses aspirations, plus que jamais dans le contexte qui est le nôtre, est la garantie d'un présent vécu dans l'attente heureuse et convaincue qu'ils se réaliseront grâce à nous, parce que nous le pouvons et nous le voulons. Revenir à ses rêves est revenir à soi, à cet enfant que nous avons été dans nos années les plus fécondes, celui qui, loin de tous les obstacles, pense que le monde est à lui et qu'il peut le rendre meilleur, parce qu'il n'est pas entravé par l'impuissance de la raison. Rêver, construire des mondes, s'y accrocher, embrasser la vie, l'aimer, s'en détacher, y revenir, l'embellir, l'idéaliser ne sont pas des folies, mais des manières d'aborder un réel en célébrant la beauté, avec la certitude merveilleuse que le jour vient après la nuit.
Alors, à tous ceux qui ne rêvent plus, je voudrais dire : cessez vos « adultillages » et recommencez à rêver. Et même s'il y aura toujours des peurs et des obstacles, nous sommes capables et nous sommes là, plus puissants que jamais.